Le thème de cette année est :
Nouveau regard sur le vivant: vers une subjectivisation des pratiques en biologie
La biologie opère sous l’égide de discours qui ont été confirmés et peaufinés par plusieurs siècles de pratique scientifique. Les schémas utilisés aujourd’hui pour représenter le monde et réaliser des expériences reposent sur des legs historiques complexes, nés du besoin d’affranchir progressivement la science des discours théologiques qui ont dominé l’Occident jusqu’au XXe siècle. Les religions monothéistes et autres cosmogonies ont dépeint longtemps le portrait d’un monde naturel animé des prémisses et impératifs spirituels qui leurs étaient propres. Pour s’opposer aux discours religieux, vitalistes et spirituels, l’Occident dans son ensemble s’est attelé, depuis les lumières, à désarticuler matière et sens. Cette rupture s’est matérialisée par un consortium d’autres ruptures qui ont rendu l’objectivité scientifique possible: matérialisme, réductionnisme, physicalisme, etc. C’est donc pour asseoir sa légitimité que la science d’aujourd’hui opère en visant une évacuation systématique de tout ce qui s’oppose à une description dite « objective » de la réalité : subjectivité, biais, variabilité, etc.
La science actuelle met en évidence l’extrême complexité du monde naturel. Le séquençage massif de génomes, les multi-omics, les théories de la complexité, de l’émergence et du chaos brossent un portrait du vivant qui remet sérieusement en cause les prémisses d’une science qui se voit comme absolue, objective et l’univers comme étant somme toute simple et modélisable dans son ensemble. Pour pouvoir étudier les systèmes vivants dans leur complexité, les biologistes doivent faire appel à des théories, des systèmes d’interprétation, de simplification, de collecte et d’analyses de données qui conditionnent et limitent, par la même occasion, nos explications. Les connaissances biologiques qui en résultent sont le fruit de rencontres contextuelles et contingentes qui unissent le vivant, les biologistes, la biologie, le monde et ses contraintes. L’idée reçue d’une science qui opère in vacuo et qui produirait du « vrai » s’accorde mal avec la réalité de la pratique scientifique.
La difficulté qu’a la biologie à aligner son discours sur ses pratiques trahit les ancrages épistémologiques profonds qui structurent notre rapport à l’objectivité et rejettent de toute science honnête l’inclusion des opposants de l’objectivité dite classique. Si une vision anthropocentrée ou religieuse du monde peut être considérée comme la thèse contre laquelle s’est élaborée son antithèse, l’objectivité classique, une intégration méticuleuse et prudente de la subjectivité, de la contingence, des biais et contraintes en science pourrait offrir une synthèse, au sens dialectique, pour nous permettre de mieux penser la biologie dans sa pratique effective.
Peut-on réellement désarticuler matière et sens? L’objectivité classique n’est-elle pas aussi contextuelle, ne participe-t-elle pas à une certaine vision du monde, à un certain ethos? Ne répond-elle pas à certaines prémisses et impératifs culturellement situés? Le malaise lié à la subjectivité est-il encore recevable dans l’écosystème scientifique actuel? Comment se matérialise en biologie la dissonance entre discours et pratique? Comment penser la pratique en biologie au-delà de l’opposition classique entre objectivité et subjectivité? Le 33ème symposium du département des sciences biologiques va explorer ces questions afin de nous permettre une meilleure compréhension des fonctionnements de la biologie contemporaine et de mieux en penser les devenirs.
Complexity matters: subjectivity as practice in contemporary biology
Biology operates within the confines of scientific practices that have been shaped over the course of many centuries. Our understanding of the physical world has been for a long time clouded by the all too human need for purpose, meaning and relatability. As an example, geocentrism’s claim of a universe that revolves around the earth is elegantly simple and reassuring when compared with astronomy’s current depiction of a centerless universe, where the earth and sun are but one of many. The repeated need to break free from a religious or vitalistic view of the material world probably played a significant role in the subsequent ruptures that made objectivity and legitimate science possible: physicalism, reductionism, materialism, etc. Consequently, one of the enduring shapes or legacies of science seems to be the systematic weeding out of all things getting in the way of a ‘classically’ objective description of reality: subjectivity, bias and variability, etc.
Modern day natural sciences have made us critically aware of the complexity and intricacies of the natural world. Mass DNA sequencing, multi-omics, massive data collection, theories of complexity and emergence, to name a few, all in their specific way call into question the pillars of a science that sees itself as complete, objective, unbiased and the world as somewhat simple and easily computable. Life is complex and contemporary biology seems to only keep adding layers upon layers of additional complexity. To study life in all its knottiness, biologists need theories, systems of simplification, of data collection and analysis that, in their specific way, imply biologically informed subjective choices. These choices, inherent to the practice of knowing, condition and limit our contingent interpretations of nature. Our a priori understanding of science as an in vacuo, non-contextual, truth producing enterprise resonates poorly with the way science actually operates. Why does science and especially biology, given life’s complexity, still cling to its classical description of reality? This dissonance is interesting and betrays an important point of tension that partly revolves around our ‘inherited’ uneasiness surrounding subjectivity.
Is classical objectivity not contextual as well, does it not rely on a certain vision of the world, a certain ethos? Is our uneasiness surrounding subjectivity still healthy in today's scientific and political ecosystem? How can we work to move biology-as-practice beyond the traditional split between subjectivity and objectivity? If an anthropocentric or religious understanding of the world can be seen as the thesis which gave rise to its antithesis, classical objectivity, then a careful and meticulous reframing of subjectivity and its entanglements can possibly be considered as the synthesis, the next logical step that would continue science’s dialectical trajectory and bring us closer to an accurate description of reality. The department of biology’s 33d edition of its annual symposium will explore themes relating to subjectivity and complexity in a way that will hopefully help us get a better and more nuanced understanding of what biology is and what it could be.